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Samedi 17 juillet 2010

Paul Antoine Luciani Premier adjoint au maire d’Ajaccio

Chère Madame Pancrazi, chères Laurette, Hélène et Dominique,

Mesdames, messieurs, chers amis,

Je savais bien que ce moment devait arriver. Je l’ai toujours redouté.

Je sais aussi que Hyacinthe Pancrazi était la modestie même et qu’il appréciait très modérément les hommages officiels. Mais ses amis – et ils sont très nombreux – ne peuvent pas laisser partir un homme tel que lui sans l’accompagner par un petit mot d’adieu, un signe collectif, discret mais public, qui rappelle à tous l’homme simple et bon, le médecin d’exception, le démocrate sincère, l’ami du peuple qu’il fut toute sa vie.

 

Qu’il me soit permis, au nom de ses amis, de dire à sa grande et belle famille qu’elle a mille bonnes raisons d’être fière d’avoir eu un époux, un père, un grand-père, un arrière grand-père d’une telle trempe et d’une telle stature morale.

Nous partageons la peine des siens. Nous mesurons le vide qu’il laisse parmi eux, chez ses amis, dans Ajaccio et dans sa région.

Mais je voudrais affirmer aussi que l’admiration l’emportera sur le chagrin. Un de ses amis, médecin lui aussi, m’a confié à l’annonce de sa mort : « Hyacinthe continuera longtemps à nous accompagner ». Il voulait dire, naturellement, que les vies exemplaires ne s’achèvent pas avec la mort physique. Elles continuent de diffuser leur message d’humanité et de savoir vivre ensemble. Elles continuent de nous instruire.

Hyacinthe Pancrazi était tout entier dans son métier. Médecin de vocation, il avait le don d’associer et de faire agir ensemble deux qualités qui s’opposent quelquefois : la distance clinique indispensable à tous les soignants, l’empathie qui soutient le malade et lui inspire confiance.

Le dévouement, allié à la modestie, était chez lui comme une seconde nature. Son autorité professionnelle, loin d’en souffrir, en était comme magnifiée. Il avait « l’humanité communicative » et savait susciter, par son exemple, dans le service hospitalier qu’il dirigeait, une atmosphère et des comportements professionnels pleins de douceur, de patience, d’attention aux malades. Beaucoup de familles s’en souviennent.

Hyacinthe Pancrazi faisait partie de cette génération qui s’éteint inexorablement, celle de la Résistance, où l’on compte tant de personnalités exemplaires, tant d’hommes et de femmes capables des plus grands sacrifices. Il était des leurs et il leur sera resté fidèle toute sa vie. Lui aussi avait su prendre des risques, sans pour autant prendre les armes. Il protégeait, comme interne des hôpitaux de Marseille, les résistants traqués par la police : il les cachait parmi ses malades !

Ses qualités professionnelles et ses idéaux démocratiques ont toujours été intimement liés depuis l’origine de sa formation. Il vivait son engagement civique comme une autre manière de secourir ses semblables, comme un autre moyen de les aider à vivre…

Il n’a jamais adhéré à aucun parti. Mais ses préférences étaient connues. La plupart de ses amis les plus proches, ceux qu’il a accompagnés toute sa vie, étaient communistes. Ils étaient comme lui des amis du peuple. La liste qu’il faudrait en dresser serait trop longue et forcément incomplète et donc… injuste. Je n’en citerai qu’un, qu’il considérait comme son frère et qui a laissé son nom à une avenue d’Ajaccio : Noël Franchini, autre médecin d’exception, autre figure lumineuse trop tôt disparue.

Hyacinthe, avec ce parcours, ces qualités et cet entourage, a été tout naturellement sollicité par ses amis et par la gauche ajaccienne. Il ne s’est jamais dérobé. Toujours avec cette volonté, discrète mais inébranlable, de changer le cours injuste des choses. Toujours avec cet espoir qu’un jour la vie serait plus belle pour tous et pour chacun.

Candidat en diverses occasions (cantonales et municipales), il a été, à deux reprises, en 1953 et 1983, élu au conseil municipal d’Ajaccio. Son prestige moral et politique était tel qu’il est devenu une véritable référence pour toute la gauche. En 1977, c’est lui qui incarnait le changement, à la tête d’une liste d’union qui a failli l’emporter. En 1983, il reprend le flambeau, toujours dans l’union, et il fait entrer au conseil municipal une nouvelle génération de militants de gauche. Certains y sont encore ; ils s’efforcent, malgré les difficultés, de donner sens et réalité aux engagements pris avec lui, il y a plus de trente ans.

C’est pendant ce mandat entamé en 1983 qu’il doit affronter, avec sa famille, une épreuve terrible, la disparition de son fils, lui aussi médecin à Ajaccio, notre cher Xavier. Il combattra en silence cette souffrance nouvelle qui s’installe durablement dans son cœur, mais il poursuivra sans faiblir ses tâches quotidiennes.

Depuis 2001, il venait régulièrement nous rendre visite à la mairie, jamais pour les réceptions protocolaires, toujours pour signaler une détresse, réparer une injustice, soulager une misère. Il était toujours présent aux cérémonies patriotiques, aux côtés de ses vieux compagnons et près de ceux qui perpétuent le souvenir de la Résistance et de la Libération.

Mais Hyacinthe, avec sa « mémoire fertile », n’était pas un homme du passé. Il vivait, comme nous, avec l’espoir de « lendemains qui chantent». Il croyait, comme nous, au progrès général de la société. Il savait que ce progrès ne serait pas l’œuvre d’un homme providentiel, mais qu’il résulterait d’une somme incalculable de luttes et d’efforts conjoints et solidaires. Et, tous les jours, il donnait de sa personne pour donner vie à ses idéaux.

Sa vie entière est une leçon de confiance en l’avenir. Il se serait certainement reconnu dans ces paroles simples et fortes de la grande Anna Marly qui appelait à la résistance face à l’oppression nazie :

« Il faut lutter, il faut bâtir Je marche au bras de l’avenir »

Ghjacintu, « Le Docteur », a longtemps «marché au bras de l’avenir». La plus belle façon de lui rendre hommage, c’est de poursuivre, à son exemple, cette marche nécessaire.

* Cette allocution a été prononcée à Ajaccio (lever du corps) et à Valle di Mezzana.